Nous avons vu dans les chapitres précédents que l’histoire de la bastide de PAVIE a été dramatiquement marquée par les événements du XVe siècle. PAVIE ne remonte partiellement ses murailles qu’au début des années 1600, sous Henri IV, et n’atteindra jamais ni l’importance, ni la richesse, ni la qualité architecturale et patrimoniale que l’essor des premières années de son existence semblait lui réserver.
Mais, parallèlement à la vie du bourg, les seigneuries apparues au cours du Moyen Age avaient continué à vivre (non sans subir les exactions perpétrées pendant la guerre de Cent Ans et pendant les guerres de religions).
Ainsi, au moment ou le village végète, l’une de ces seigneuries va prendre une importance considérable et on peut avancer que pendant environ trois siècles, à partir de 1650, BESMAUX va supplanter, par sa puissance et son autorité, l’histoire hésitante du bourg. Quelques brèves périodes (Révolution, guerres mondiales, vont à peine interrompre cette hégémonie).
De grands personnages, François de Monlezun, divers comtes Dillon, vont bâtir cette puissance qui trouvera son apogée au XIXe siècle. BESMAUX comptera alors près de 1400 hectares répartis sur PAVIE, LASSERAN, LASSEUBE PROPRE et bien d’autres communes.
Pourtant, au XVIe siècle, BESMAUX n’est qu’une petite métairie que l’abbaye de BERDOUES, sur le déclin, vend à Gabriel de FLEURIAN, seigneur d’ES VIVES (apprécions au passage, la belle survivance du nom de ces lieux-dits, puisque le site de FLORIANUS existe déjà à la fin de l’empire romain, et qu’il nous parvient parfaitement intact à travers 15 siècles d’histoire). Gabriel de FLEURIAN donne BESMAUX en dot à sa fille, lors de son mariage avec Manaud de MONLEZUN, lequel commence à agrandir la propriété.
Son petit-fils sera François de MONLEZUN dont nous allons résumer l’histoire.
Il naît vers 1612, et, avant d’aller plus loin, il convient de brosser le décor historique.
Quand il voit le jour, HENRI IV est mort depuis à peine 2 ans, sous la dague de RAVAILLAC, après 21 ans de règne au cours duquel PARIS s’est peuplé d’un grand nombre de Béarnais et de Gascons. Ils furent d’abord les compagnons de guerre du futur roi, puis des hommes de confiance, non seulement dans le domaine militaire mais dans tous les rouages de l’administration du royaume. Notre Gascogne est pauvre à cette époque, ravagée de plus par les guerres de religion. La vie est difficile pour les grands seigneurs eux-mêmes, qui vivent souvent chichement, alors que dire des petits hobereaux et des cadets de famille ! Aussi, ils montent nombreux à PARIS munis de recommandations pour tel ou tel de leurs aînés. Ils forment ainsi, comme le feront bien plus tard les Bretons, les Auvergnats ou les Corses, une communauté très solidaire. Ces Gascons et Béarnais sont assez mal vus des autres parisiens car non seulement ils occupent les bonnes places, mais de plus ils sont bruyants, parlent mal le français si ce n’est avec un accent effroyable, sont susceptibles, querelleurs et on les dit volontiers coureurs de jupons impénitents !
1612, c’est aussi l’année probable de la naissance du célèbre Charles de BATS de CASTELMORE d’ARTAGNAN passé à la postérité sous le nom de d’ARTAGNAN grâce à la plume géniale d’Alexandre DUMAS.
Ils ont le même âge, ils sont issus tous deux d’une très modeste noblesse, venus à PARIS depuis des terres gasconnes, l’un de PAVIE, l’autre de LUPIAC, distantes de quelques lieues à peine, et arrivent dans la capitale quasiment en même temps. Pendant 40 ans leurs destins se confondent et se complètent au point qu’un auteur* n’hésite pas à affirmer que si d’ARTAGNAN est, comme chacun sait, le quatrième des 3 mousquetaires, BESMAUX serait alors l’incontestable cinquième !
Vers 17/18 ans, ils arrivent donc à PARIS et ne manquent pas de se rencontrer dans le milieu des Gasco-Béarnais. Ils se lient d’amitié et vont frapper à la porte du Maréchal de GRAMONT, natif d’Hagetmau et du Comte de TREVILLE, originaire d’Oloron Sainte Marie, lieutenant puis capitaine lieutenant de la compagnie des Mousquetaires du Roi.
A leur arrivée ils sont probablement admis comme cadets dans le régiment des gardes françaises. En 1633, d’ARTAGNAN figure dans les effectifs de la compagnie des mousquetaires, François de MONLEZUN l’y rejoint en 1634.
Ils ont 20 ans, et notre jeune BESMAUX, plus encore que d’ARTAGNAN, apparaît comme le type même du gascon de légende. Sous son chapeau de feutre emplumé, bombant le torse dans sa casaque bleue d’azur frappée de la croix, la main posée sur le pommeau de sa longue rapière espagnole qui ferraille parfois contre ses éperons, il se montre fanfaron et fier de lui. Son juron gascon favori « capdediou », qu’il fait claquer dans les couloirs, sera un jour célèbre à la cour de LOUIS XIV ! On le verra également avide de gloire et de richesse, mais comme ses compatriotes, il sera aussi un guerrier valeureux, infatigable, fidèle et dévoué.
En 1635, la FRANCE déclare la guerre à l’Espagne et, dès lors nos deux amis vont se trouver engagés dans des campagnes successives soit dans cette compagnie d’élite des mousquetaires du Roi, sous les ordres de TREVILLE, soit dans la compagnie des gardes françaises avec le Maréchal de GRAMONT. Ils sont dans les Flandres, en Allemagne, en Roussillon,et participent au siège et à la prise de PERPIGNAN en 1642.
Louis XIII meurt en 1643, Anne d’Autriche assure la régence puisque le futur LOUIS XIV n’a que 5 ans, et MAZARIN devient premier ministre. Il sera l’artisan principal du destin exceptionnel de nos deux héros.
En 1646, MAZARIN dissous la compagnie des Mousquetaires, mais retient auprès de lui, pour son service rapproché, BESMAUX, d’ARTAGNAN, et quelques autres. Ils deviennent alors pour une période de près de 10 ans, de véritables agents secrets chargés de multiples missions de confiance. Pendant les années de plus forte turbulence correspondant à la Fronde (1648-1653), la cour doit fuir à Saint-germain, puis MAZARIN doit s’exiler en ALLEMAGNE, puis la cour revient à PARIS mais reste soumise aux forces des troupes de CONDE. Pendant ces cinq années, nos deux hommes sont très sollicités. Ils chevauchent dans tout le royaume, portent des messages confidentiels, circulent souvent grimés pour franchir les lignes, négocient, jouent les ambassadeurs du cardinal, sans oublier la garde rapprochée d’ANNE d’AUTRICHE et du dauphin.
Louis, enfant puis adolescent souffre de la défection des nobles du plus haut rang qui prennent les armes contre lui et qui n’hésitent pas à pactiser avec l’ennemi espagnol. Il n’en appréciera que plus la fidélité de cette poignée de gascons courageux, efficaces et joyeux, dont la personnalité évoque celle de son grand-père, HENRI IV, qu’il n’a pas connu mais qu’il admire beaucoup. Il saura s’en souvenir plus tard.
Auparavant, François de MONLEZUN de BESMAUX avait repris les campagnes militaires, notamment dans l’armée d’Italie, en 1646, 1647, et 1648 où une balle de mousquet lui brise la mâchoire, mais où il se conduit avec panache.
* Véronique LARCADE, docteur en histoire, Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux III, qui plus est, une presque pavienne !
Cette brillante campagne lui vaut d’être nommé par MAZARIN capitaine des gardes du cardinal et il commence dès lors à arrondir ses propriétés à PAVIE sans doute, mais ailleurs également.
Sa carrière diplomatique est plus hésitante. Le rude soldat qu’il est devenu après quelque 25 années de métier militaire est peu formé aux finasseries des négociations. Dans l’affaire d’Harcourt, il échoue tout d’abord, MAZARIN s’énerve et le traite de bon à rien ; la disgrâce menace gravement. D’ARTAGNAN et quelques autres intercèdent en sa faveur. MAZARIN se calme et d’ARTAGNAN écrit triomphalement à son ami : « tu peux revenir à PARIS, plus fier que jamais ! ». Finalement en mai 1654, il rallie avantageusement les troupes du comte d’Harcourt à la cause du cardinal.
La récompense sera à la mesure de ses services : en 1658, il reçoit le très envié gouvernement de la Bastille et c’est une existence très différente qu’il aborde alors et qui durera jusqu’à sa mort en 1697, soit pendant près de 30 ans au cours desquels il va amasser une fortune considérable (car il tarifie lourdement le moindre des services rendus à ses pensionnaires), au point de passer pour un des plus riches gentilshommes de son temps.
De plus, il avait épousé, en 1654, une (très) jeune et riche orpheline, ce qui ne pouvait que favoriser ses affaires ! Ses diverses possessions se multiplient dans le Cantal, en Picardie notamment. On peut penser qu’il ne négligea pas son château natal et que lors de ses visites, la population de PAVIE devait être passablement éblouie devant le personnage qu’il était devenu, ce qui n’était certainement pas pour lui déplaire !
D’ARTAGNAN, de son côté, s’était marié en 1659, après avoir été nommé lieutenant de la nouvelle compagnie des mousquetaires que LOUIS XIV avait rétablie. A son contrat de mariage figurent les signatures de LOUIS XIV, de MAZARIN, et de… BESMAUX, l’ami de toujours, en prestigieuse compagnie !
Mais leur belle amitié va s’effriter en 1664, quand d’ARTAGNAN est chargé de garder personnellement FOUQUET à la Bastille au grand dépit de BESMAUX dont l’autorité sur la prison royale se trouve ainsi bafouée.
Il faut dire que leurs carrières se sont écartées. D’ARTAGNAN est resté un soldat, un grand capitaine, très apprécié du roi et estimé de tous. Il mourra pauvre (car il dépense sans compter) et glorieux, sous les murs de Maëstricht en 1673.
BESMAUX a opté pour une vie plus tranquille, beaucoup plus lucrative et les honneurs ne lui sont pas ménagés : quand il marie ses filles, il les dote de 200 000 livres (à peu près 2 200 000 Euros !) et le Roi ainsi que la Reine assistent aux deux mariages !
Cette considération exceptionnelle du Roi en faveur d’un seigneur de si modeste extraction s’explique probablement par le souvenir des difficiles années de la guerre civile où la fidélité et, n’en doutons pas, l’affection partagée de ces quelques courageux gascons comme d’ARTAGNAN et BESMAUX lui avaient permis de sauver sa couronne.
Telle est l’aventureuse et fabuleuse histoire de François de MONLEZUN, marquis de BESMAUX (LOUIS XIV lui avait consenti ce titre en 1657, mais il se l’était octroyé d’autorité depuis longtemps !), qui avait quitté PAVIE, à 17 ans avec quatre sous en poche, et qui mourut très riche, en étant parvenu à figurer parmi les gentilshommes les plus proches du Roi Soleil.